2009
2009
31 octobre 2014
Comme Greenaway l'avait senti en affirmant que le tableau nous regarde, le paysage pour Léopoldine Hugo et Yves Beaumont n'a de valeur esthétique « opérante » que s'il existe à travers son motif, un retournement de la vue. L'oeuvre doit interroger le regard qui est sensé la voir. De l'oeil au regard s'instruit la médiation de l'oeuvre : soudain c'est elle qui fissure énigmatiquement les certitudes trop facilement acquises de la contemplation fétichiste du paysage. A ce propos, Lacan fait une remarque capitale : "Dans le tableau toujours se manifeste quelque chose du regard. Le peintre le sait bien, dont la morale, la recherche, la quête, l'exercice est vraiment la sélection d'un certain mode de regard là où toute représentation de la figure humaine est absente si bien que vous aurez le sentiment de la présence du regard » (in « La mécanique des fluides).
La béance oculaire s'inscrit dans la peinture de paysage des deux artistes. Ils écartent les bizarreries de la nature ; seul l'horizon semble venir devant nous, au devant de nous par le royaume de l'horizontalité. Les reflets lumineux qui se concentrent sur le partage des plans. Le paysage nous regarde du fond des âges et devient passeur d'âmes. Il renvoie aussi à la Vanité inscrite dans le paysage presque vidé de sa substance puisque sans yeux. C'est pourquoi on peut reprendre ce que Saussure écrivait à propos du tableau de paysage : « on croit entendre la voix de la nature et devenir le confident de ses opérations les plus secrètes »
Jean-Paul Gavard-Perret
Horizons
Léopoldine Hugo & Yves Beaumont
31 octobre - 22 novembre 2014
Galerie Chantal Bamberger, Strasbourg
Article extrait du site http://salon-litteraire.com
1 avril 2009
Qui d'entre nous a échappé à cette expérience consistant, à partir de la souche d'un arbre, à évaluer son âge au nombre des cercles dessinés autour de son centre.
Tâche - pour tout enfant - aussi ardue qu'imprévisible mêlant botanique, physique et... philosophie à l'intérieur d'un... tronc... confrontant (ou confondant?) ainsi en son sein les lois de la croissance dans le Temps et dans l'Espace (hauteur, largeur, épaisseur).
Porter notre regard sur une portion d'un arbre, c'est aussi bien effectuer une percée dans la Matière vive de cet arbre que porter notre attention sur le phénomène de croissance sous-jacent qui soutenu l'existence de cet arbre: c'est à cette méditation que Léopoldine HUGO nous convie.
Ici une jambe, là un tripode ou un poignet, parfois une épaule, raccrochée au carrefour d'une poitrine dont émerge un bras tendu vers le ciel ! comment éviter nos humaines projections... à l'heure où nos forêts se transforment en champ de batailles, soumises aux assauts de tempêtes de toutes sortes.
Une portion d'arbre est un arrêt sur image : dans cette tension paradoxale entre le solide et le fuyant, ce qui circule des racines vers le ciel, est là, à portée du regard, le Temps, plus que jamais insaisissable quand l'artiste choisit d'en exprimer la réalité par de la poussière de couleur, le pastel...
Par l'usage approfondi de cette technique, Léopoldine HUGO redonne ainsi à l'Arbre-Temps la virtuosité de sa Matière, son geste artistique maîtrisé offrant une réalité vivante et viable à cette apparente contradiction entre virtualité de l'Espace et écoulement du Temps.
Texte de Marianne BENCHIMOL . Avril 2009
1 février 2009
Le travail de LEOPOLDINE HUGO s'inscrit dans la permanence d'une inspiration fondée sur un sentiment profond d'appartenance à un pays et à sa lumière.
Il se traduit la représentation constante d'un vaste paysage horizontal, à la fois unique et toujours différent . Aucune réalité photographique. L'intériorisation, le souvenir, la réflexion recréant sans cesse le sujet . Antérieurement traité au fusain en grand format, les gris et les noirs y accordaient leurs nuances aux immensités mélancoliques de lieux où ne luisait qu'un blanc interstitiel.
Si la couleur est entrée dans la palette de l'artiste grâce à l'utilisation du pastel sec, si les formats se sont réduits, la sensation d'espace et d'identité demeure . Le paysage est surpris au moment précis de la disparition du jour, traversé par de fugaces traces lumineuses . L'urgence de la captation de ce moment et de sa traduction n'est entachée d'aucun réalisme, laissant le spectateur libre de son émotion devant la fugitivité du temps et la fragilité des apparences.
D'autant plus surprenante et dichotomique paraît,dans ce contexte, l'apparition verticale des arbres, réduits à la nudité de leurs troncs parfois doubles . La beauté du hêtre pourpre de la place de la République à Strasbourg est le déclic de cette nouvelle recherche, mais le peintre ne reste pas prisonnier du modèle .
Dressé contre le vide, le tronc, double ou non, dessine un nouvel espace, invente un rapport inattendu entre le vide et la matière, la verticalité et la lumière . Nous y retrouvons tous les éléments propres à la démarche de ce travail.
Quoique contradictoire en apparence, la continuité d'inspiration est réelle .
Ainsi l'artiste parvient-elle à accéder à quelque chose de l'essentiel dans la représentation du paysage à un instant donné et parallèlement à procéder à la tentative personnelle de concilier ce qui relève de l'intime - la perception du paysage avant son enfouissement dans la nuit - et ce qui relève de l'infini, à savoir l'appréhension du vide de l'espace par la lumière .
Pia JUNG
Février 2009
1 avril 2004
1 juin 2002
Rendre visible l'invisible : telle reste la mission dévolue l'artiste ,
en dépit des procès auxquels on le convoque à mesure des défis qu'il relève.
Si convaincu soit-il de sa puissance créatrice, celui qui prétend mettre au jour une oeuvre d'art reste le jouet de quelque chose qui n'est pas vraiment de lui, et l'on nommait ce souffle « inspiration », comme une parcelle de divin.
Ainsi fécondés, le talent devient génie, et la technique virtuosité.
Au regard du spectateur, quand il clairvoyant, l'oeuvre achevée rayonne de l'évident succès de cette incarnation.
Il voit bien qu'il a été permis à son créateur de recevoir l'esprit et de le restituer dans l'organisation de la matière : mais il reste ignorant de la mécanique qui a agencé cette opération.
Seul le résultat se manifeste, l'opération, médiate, demeure occulte.
Il est alors des oeuvres qui sont « habitées » : l'état transitoire que traverse le souffle, avant de se spécifier en production, n'a pas cristallisé. Il subsiste à l'état d'ectoplasme, cette chose qui se revêt de matière sans se décider à abandonner son statut d'ombre, forcée dans son repaire par le médium.
La triviale occupation à laquelle le spirite assigne ce dernier, devient magie, aux mains de l'artiste.
Le voilà qui déploie un fil entre les deux côtés du miroir, le parcourt, l'explore, flâne, non sans que le funambule gribouille ses carnets de souvenirs : les tracés de LH, denses écrits à la mine de plomb sont certes de cette trempe.
Ils manifestent d'illusoires paysages, que dessinent les linéaments du réel.
Dépourvus de couleur, ils ont dévoré la gamme chromatique et, nourris de ces énergies,voilà des spectres qui en matérialisent les virtualités.
Ils ont revêtu la puissance d'enclore dans un espace contingent, le monde du minuscule et l'univers sans limite. L'oeil, d'ordinaire, paresse le long des rassurantes frontières qui les distinguent : ces repères lui font défaut.
Piégé dans d'inépuisables allés et venus de l'un à l'autre, il se perd dans les scènes surgies d'un kaléidoscope qui dissimule sa mécanique.
A cette fin, la technique n'a épargné ni au support ni à la mine de plomb une besogne méticuleuse,tatillonne,répétitive,obsessionnelle .
Chaque grain du papier est mis à l'épreuve,chaque trait est le délibéré d'un cheminement.
Et d'un fourmillement émergent, merveille, deux ou trois lignes amples, harmonieuses et paisibles : celle de perspectives sereines ,aux secrets éclairés par les jours incertains parcourus en rêve.
L'ordre des plans qu'elles étagent reste indécidable. La perception ne se voit plus délivrer le langage familier de la ligne de fuite, convention qui permet à l'esprit d'édifier la profondeur d'un espace figuré sur un support plane.
La profondeur de ces espaces est étrangère aux habitudes visuelles .Elle s'offre moins à la vue qu'au ressenti .
On erre dans ces confins semblables à une culture observée sous la loupe du microscope ou à l'amas hasardeux de cheveux tombés sous les ciseaux, surgis de l'enchevêtrement de débris,
de poussière,d'humus qui fermente sous les coups de crayon. Toute une vie infime de fragments qui s'organise pour composer les panoramas qui se déroulent, s'étendent, s'étalent, répandent l'espace où le point de fuite n'en fini pas de fuir.
François JEMOLI